Monsieur La Gâchette

C’est désormais officiel ! Après avoir égalisé Bernard Lacombe au nombre de buts inscrits avec l’Olympique lyonnais (149) à Lille la semaine dernière, Alexandre Lacazette (31 ans) est officiellement devenu hier soir le deuxième meilleur buteur de l’Histoire de l’OL. Grâce à son but face au FC Nantes (1-1) et malgré sa sortie sur blessure, il pointe désormais à 72 unités de l’indétrônable Fleury Di Nallo (222 buts). Inaccessible, vraiment ? Pour certains supporters, c’est mal connaître cet enfant de Gerland. Capitaine Lyon prend le pari : Alexandre La Gâchette est bien le prochain meilleur buteur de l’Histoire du club !

L’ailier qui voulait jouer dans l’axe

S’il a bien été lancé comme joueur professionnel par Claude Puel en mai 2010, c’est à Rémi Garde que revient le mérite d’avoir confié à Lacazette ses premières responsabilités, lors de la saison 2011-2012. Pour sa première expérience comme entraîneur professionnel (ndlr : Garde est en réalité désigné directeur technique car il ne dispose pas des diplômes requis. Joël Bats, désigné adjoint et détenteur des diplômes, joue le rôle de prête-nom), l’ancien directeur du centre de formation de l’OL hérite d’un effectif très fourni. En attaque, des mastodontes tels que Lisandro López, Bafétimbi Gomis, Michel Bastos ou Jimmy Briand sont toujours au club, et ne comptent pas laisser leurs places aux jeunes. Alors, pour pouvoir intégrer le p’tit Lacazette au milieu de cette armada, et au sein de laquelle Gomis ne peut qu’occuper la pointe (Lisandro est le second choix, même s’il joue sur le côté gauche en priorité), Garde décide d’offrir au Guadeloupéen du temps de jeu sur le côté droit, en alternance avec Briand. Auteur de 10 buts en 43 matchs disputés, Lacaz’ ne se plaint pas. Il décide de prendre son mal en patience, et s’empare même de l’occasion pour élargir sa palette technique. « Pour un jeune attaquant, c’est vrai que jouer sur un côté nous permet d’élargir notre bagage technique, confiait l’intéressé à Eurosport. Au plus haut niveau, le poste d’avant-centre est très difficile et il est important de connaître les vices du métier pour s’y imposer. C’est un moment à passer, j’espère un jour avoir ma chance dans l’axe. »

La saison suivante est essentielle pour comprendre la prise de pouvoir de Lacazette au sein du trident offensif installé par Rémi Garde. Alors que l’OL ne dispute « que » l’Europa League, l’annonce de l’accord du 12 février 2013 entre l’OL et Vinci, pour la construction de l’enceinte qu’on appelle encore « Stade des Lumières », marque un tournant décisif dans la stratégie du club. Jean-Michel Aulas souhaitant absolument être propriétaire de son « formidable outil », c’est un projet à 632M€ que l’OL se doit de financer. Afin que le club ne se retrouve pas ébranlé par cet investissement colossal, le président lyonnais n’a d’autres choix que d’imposer une période de « vaches maigres » à son club. Cela se traduit concrètement par la fin des recrutements clinquants à la Gourcuff, la vente de joueurs à bonne valeur marchande, la place laissée aux jeunes du centre de formation et enfin l’arrivée de recrues à moindre coût. Devant, Jean-Michel Aulas identifie Michel Bastos et Jimmy Briand comme potentiels partants, et ce dès le mercato d’hiver. Agacé par les prestations et le comportement du premier depuis plusieurs mois, JMA parvient à l’envoyer en prêt du côté de Schalke 04 pour 18 mois. Pour le second en revanche, le départ forcé va se transformer en camouflet pour le joueur. Fortement encouragé à rejoindre Monaco en prêt, l’ancien Rennais accepte de se rendre à contrecœur sur le Rocher pour passer sa visite médicale. Sauf que sur place, c’est l’incompréhension : il voit que le club monégasque ne le désire pas plus que cela. « Durant cette journée, il n’a vu aucun dirigeant monégasque, et pas davantage l’entraîneur. Le seul qu’il a vu, c’est Jean-Luc Buisine, le responsable de la cellule recrutement. De mon côté, je n’ai jamais reçu la moindre proposition écrite et Monaco a manqué de sérieux. Je n’avais encore jamais vu ça » s’étonnait son agent Jean-Pierre Bernès dans les colonnes du Progrès, avant d’enfoncer le clou. « Jimmy n’a jamais voulu quitter Lyon. Mais devant l’insistance du club, on a discuté avec Monaco et il a accepté de passer la visite médicale. » C’est donc dans ce contexte particulier, mais qui lui est tout à fait favorable, que Lacazette devient un titulaire en puissance sous Rémi Garde. D’ailleurs, au début de cette saison charnière, le coach de l’OL n’a pas cherché à s’interposer quand le champion d’Europe U19 a récupéré le numéro 10, laissé vacant depuis le départ d’Ederson.

La saison 2013-2014 est celle de l’explosion pour le deuxième meilleur buteur de l’Histoire de l’OL, et ce d’abord parce que Jean-Michel Aulas poursuit la stratégie esquissée l’hiver précédent. Après avoir provoqué les adieux déchirants de Lisandro López avec Gerland, il montre la porte à Gomis parce qu’il refuse de prolonger, et à Briand pour pouvoir enfin économiser son salaire. Cet été de soldes du côté de Gerland profite inévitablement à Lacazette, qui voit les portes de la pointe de l’attaque de son club de cœur s’ouvrir à lui. Buteur lors deux premières journées remportées par l’OL (face à Nice puis à Sochaux), celui qui n’est encore qu’un soldat prouve sa capacité à fédérer l’attaque lyonnaise. Gomis et Briand finalement réintégrés à l’issue du mercato, Alex ne perd pas confiance et continue de scorer. Parfois décalé sur un côté, parfois associé à Bafé Gomis en pointe, il signe sa première saison pleine à l’OL avec 22 buts (à égalité avec Gomis) et 6 passes décisives TCC. L’OL termine la saison 5ème, un mauvais classement à l’époque, et se retrouve obligé de se serrer la ceinture financière d’un cran supplémentaire. La recrue phare de l’été se nomme Christophe Jallet, arrivé en provenance du Paris Saint-Germain pour un petit million d’euros. Les dirigeants lyonnais décident de donner le pouvoir à ceux que certains appelleront le « Gang des Lyonnais ».

« Génération Lacazette »

Anthony Lopes, Samuel Umtiti, Corentin Tolisso, Maxime Gonalons, Jordan Ferri, Nabil Fekir et Alexandre Lacazette donc… Ils sont pas moins de sept Gones, nés entre 89 et 94 dans la région lyonnaise, présents au coup d’envoi de cet OL-Rennes, 1ère journée de la saison 2014-2015. En ajoutant Steed Malbranque, revenu au bercail depuis 2012, et des remplaçants comme Clinton Njie ou Farès Bahlouli, le concept de « Gang des Lyonnais » prend son sens. Leur coach ne s’appelle pourtant plus Rémi Garde, parti tenter une aventure canadienne, mais Hubert Fournier, ancien de la maison certes, mais pas Lyonnais d’origine. La nouvelle politique va non seulement enchanter les supporters, mais elle va surtout très vite porter ses fruits. Alors qu’on leur prédisait une saison cauchemar, qui débutait effectivement bien mal avec la piteuse élimination en Europa League face à l’Astra Giurgiu (1-0 puis 1-2), les Lyonnais étonnent tout le monde en terminant à une magnifique deuxième place, avec un PSG contraint de se méfier de l’OL jusqu’au bout. Grâce à ses performances de la saison précédente, Alexandre Lacazette devient le nouvel homme fort de cet effectif « made in OL ». « Il se savait attendu mais on se rend désormais compte qu’il ne doute jamais. Tout est cash dans son jeu, on sent la sérénité en lui », constatait Grégory Coupet, gardien de légende entre 97 et 2008, en 2015 dans 20 Minutes. Le Général ne déçoit pas et termine meilleur buteur du championnat avec 27 buts inscrits. Les personnalités du football français salueront unanimement la superbe saison lyonnaise en désignant Alexandre Lacazette meilleur joueur de L1, et Nabil Fekir meilleur espoir.

Plébiscitée par le public, l’identité lyonnaise revendiquée de l’effectif de Fournier n’est pas forcément facile à vivre pour les autres joueurs non issus du cru. « Quand vous sentez que vous n’êtes pas le bienvenu, c’est compliqué » regrettait amèrement Claudio Beauvue en 2016 dans l’émission J+1, quelques mois après son départ difficile de l’OL. Une analyse qui fait rigoler Mathieu Valbuena, qui a côtoyé la « Génération Lacazette » pendant deux ans (2015-2017). «C’est un gentil gang. Je peux comprendre qu’en arrivant de l’extérieur, on puisse trouver qu’ils sont froids… Mais ils ont été formés depuis l’école ensemble. Ils restent ensemble, c’est normal. C’est aussi aux nouveaux d’aller vers eux. Moi, ça ne m’a pas choqué parce que peut-être que je ferais pareil. Même génération, formés ensemble, forcément… Moi ça ne me choque pas. Bon après, le « gang des Lyonnais », ça peut être interprété de façon négative ou positive. » D’ailleurs, depuis son retour l’été dernier et alors que l’OL a explicitement annoncé vouloir de nouveau recourir aux talents du coin, Alexandre Lacazette a bien fait savoir que cette idée de gang du 69 appartenait au passé. « Je pense qu’il faut arrêter avec ça. On l’a eue parce qu’à une période où le club allait mal, on a utilisé beaucoup de joueurs du centre et ça a permis à l’équipe de rester en haut. Nous avions forcément cet ADN parce que nous étions quasiment tous issus du centre et que nous avions compris le projet, mais là, même si nous sommes encore nombreux à avoir été formés ici, la plupart des joueurs sont très jeunes et encore en période d’apprentissage. Et j’ai compris avec l’âge que ce n’était pas toujours plaisant pour les joueurs qui viennent de l’extérieur. »

Lors des deux saisons suivantes, celles qui précèdent son départ vers l’Angleterre, Alexandre Lacazette va continuer à être le leader incontesté de l’attaque de l’OL. Son triplé face aux Verts (3-0) à Gerland, le premier but de l’Histoire du Parc OL face à Troyes (4-1), son doublé face à Monaco (6-1) permettant à l’OL d’arracher une 2ème place inespérée à mi-parcours (ndlr : Fournier viré et remplacé par son adjoint Bruno Génésio), sa frappe monumentale face à la Roma en Europa League… Par amour pour l’OL, Alexandre Lacazette semble être capable de toujours faire plus. Les 21 et 27 buts inscrits en L1 lors des deux dernières saisons de son premier passage à l’OL (2010-2017) en font le premier Lyonnais à inscrire plus de vingt buts sur trois exercices consécutifs. Pourtant, et alors que son aventure avec l’Olympique lyonnais est encore loin d’être terminée, il n’est pas si aisé de le positionner dans la grande Histoire de l’Olympique lyonnais.

Quelle place dans l’Histoire de l’OL ?

Avec une Coupe de France (2012) dont il n’est pas le héros, et le Trophée des Champions (2012) qui va avec, l’armoire à trophées d’« AL10 » sonne bien creux.. Du point de vue du palmarès, la « génération Lacazette » est une génération frustrée. Si elle a bien perpétué la tradition chère au président Aulas d’assurer la présence de l’OL en Coupe d’Europe chaque année, elle n’a pas pu résister face aux investissements colossaux du nouveau PSG, devenu propriété de QSI en 2011. Sur le plan européen, c’est également la frustration qui domine. Capables du pire comme du meilleur, les coéquipiers d’Alexandre Lacazette ont certainement payé leur insouciance. Tous les supporters ont en tête cette demi-finale aller d’Europa League de 2017 à Amsterdam où Lyon s’était fait laminer par l’Ajax (1-4). Au retour, dans un Groupama Stadium chauffé à blanc, beaucoup on cru les joueurs de Bruno Génésio capables de réaliser l’exploit. Un frappe trop croisée de Maxwel Cornet en décidera autrement, les Gones ne parvenant pas à combler leur retard (3-1). L’OL n’ayant pas les moyens illimités des Qataris pour conserver ses talents, le club rhodanien voit sa génération dorée s’envoler vers les plus grands clubs européens. Lacazette rejoint Arsenal à l’été 2017, pour un transfert estimé à 60 millions d’euros. Certainement pas le club glanant le plus de trophées en Angleterre ces dernières années.

L’autre frustration de Lacazette est son rendez-vous manqué avec l’Équipe de France (16 sélections, 3 buts). A l’instar de son pote Samuel Umtiti devenu titulaire en 2016, il y avait l’espace pour lui faire une place entre le jeune Antoine Griezmann, l’aîné Loïc Rémy et le futur coéquipier Mathieu Valbuena dès la Coupe du Monde 2014. Didier Deschamps en a décidé autrement, le sélectionneur tricolore ne semblant jamais convaincu par le talent du joueur formé à Lyon. « Vous avez le droit à titre personnel d’avoir une préférence pour Alexandre, comme d’autres peuvent en avoir pour Wissam. Je ne vais pas vous dire que les deux ne méritent pas, mais je ne vais pas prendre cinq attaquants axiaux. J’ai un choix à faire et j’ai choisi Wissa. » tentait-il de justifier en mai 2019, après l’annonce d’une liste. Des choix que l’intéressé reconnaissait avoir beaucoup de mal à comprendre, comme il le confiait à Téléfoot en 2021 : « C’est un mystère. Ça n’a pas matché ? Oui voilà, ça n’a pas matché. On ne peut pas me reprocher d’avoir été nul en sélection sachant que mon dernier match, c’est deux buts. Donc oui, ça n’a pas matché, c’est la bonne phrase. » C’était le 14 novembre 2017, lors d’un match amical en Allemagne (2-2).

Et en comparaison des deux légendes qui l’entourent au classement des meilleurs buteurs de l’Histoire de l’OL, quelle est sa place réelle au Panthéon lyonnais ? Fleury Di Nallo et ses 222 buts ont permis à l’OL de remporter les premiers trophées de son Histoire, à savoir les Coupes de France 64, 67 et 73. Difficile de faire plus historique pour celui qui a porté le maillot de l’OL 495 fois. En revanche, comme Lacazette, Bernard Lacombe n’a en rien gagné de plus qu’une Coupe de France (1973) et un Trophée des Champions (1973) avec son club favori. Certains aiment même le taquiner en lui rappelant qu’il a quitté l’OL pour Saint-Étienne en 1978. Il ne faudrait pas oublier qu’il l’a en partie fait pour sauver le club, maintenu in extremis la saison précédente, et totalement à court de liquidités.

Si son transfert vers Arsenal a bien rapporté une coquette somme aux dirigeants lyonnais, Alexandre Lacazette s’est montré encore plus « gentleman » en revenant pour aider son club de cœur, dans une période sans coupe d’Europe ni enthousiasme. Devenu capitaine, il est de loin le meilleur joueur lyonnais (21 buts en 28 matchs TCC) dans cette saison où l’OL joue le ventre mou. C’est LE grand frère, et LE modèle, dont les Rayan Cherki, Bradley Barcola et autres Mohamed El Arouch ont tout intérêt à s’inspirer. Pour écrire encore un peu plus sa légende, et devenir ainsi le meilleur buteur de l’Histoire du club, Lacazette devra encore marqué 72 buts avec le maillot de l’OL sur les épaules. Disposant pour l’instant de deux ans de contrat à l’issue de la saison en cours, la barre est élevée mais pas inatteignable. S’il n’y parvient pas, il pourra toujours se rappeler qu’il a déjà inscrit 56 buts de plus que Sonny Anderson ou 50 de plus que Juninho, ses idoles de jeunesse. Et Alexandre La Gâchette n’a pas encore déposer les armes.

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