Jean-Michel Holà

Après 36 ans à la tête du club, Jean-Michel Aulas n'est plus le président de l'Olympique lyonnais.

Dès qu’arrive le crépuscule d’une carrière hors du commun, les fans de celui ou celle qui les a tant fait rêver guettent l’annonce de la nouvelle tant redoutée… Le départ de Juninho à l’été 2009 alors que les Bad Gones iront jusqu’à se mettre à genoux pour le supplier de continuer, la décès de Johnny Hallyday en décembre 2017 qui n’allumera plus jamais le feu en concerts, ou encore celui de Paul Bocuse un mois plus tard, en janvier 2018, qui ne régalera plus les Lyonnais de sa fameuse fricassée de volaille de Bresse aux morilles et sauce madère… L’officialisation du départ de Jean-Michel Aulas (74 ans) de l’Olympique lyonnais entre dans cette catégorie des histoires d’amour qu’on aurait aimé ne jamais voir se terminer. Après 36 ans de présidence, et plus de 50 trophées soulevés, le mythique président de l’OL rend son tablier, lassé par les méthodes que souhaiteraient lui imposer les nouveaux propriétaires Américains de son club de toujours. Le temps des hommages viendra, et Capitaine Lyon compte bien prendre sa part pour célébrer l’une des personnalités les plus importantes de l’Histoire de la cité rhodanienne. Mais, dans un premier temps, il convient d’analyser cette sortie par la petite porte et au timing pour le moins surprenant.

Textor/Aulas : une cohabitation impossible

« Il n’y aura pas de changements dans l’organigramme, ce n’est pas l’objectif. » Lors de sa présentation aux médias en juin 2022 (ndlr : le rachat de l’OL sera finalisé en décembre), John Textor (57 ans) tenait à rassurer son monde. Disposant avec Jean-Michel Aulas d’un homme « bien plus expérimenté» que lui, l’Américain tenait à réaffirmer sa confiance totale au « board » en place, ainsi que l’autonomie qui lui serait laissée. D’ailleurs, JMA était sur la même longueur d’ondes au moment d’évoquer son maintien au poste de Président Directeur Général pour un minimum de trois ans : « Le quatrième point était que je puisse rester avec l’équipe de direction. Ce n’était pas une obligation absolue mais c’était un souhait de l’ensemble des personnes qui participent à cette opération.» Et alors que l’OL s’apprête à débuter une saison sans Europe, et que par conséquent le maintien en poste de Peter Bosz n’a rien d’une évidence, Textor en remet une couche histoire de bien délimiter les champs de compétences et d’intervention de chacun : « Je ne fais pas de choix de coach. Je n’y prends pas parti. C’est Jean-Michel Aulas qui prend ce genre de décision. » Avec cet accord sur trois ans, JMA s’imagine avoir réédité son coup de février 1999  : le natif de l’Arbresle avait alors convaincu Pathé et Jérôme Seydoux d’apporter des fonds visant à développer l’OL, tout en lui laissant la gestion quotidienne et sportive du club. C’était sans compter sur les méthodes « à l’américaine » de John Textor qui n’est en réalité pas devenu actionnaire majoritaire (78,4%) pour laisser les rênes à un autre… Et peu importe si cet autre se nomme Jean-Michel Aulas. Le président lyonnais va donc endurer sa perte d’influence tout au long de la saison 2022-2023, avec en épilogue une rupture inéluctable et cruelle.

Des choix de plus en plus remis en cause

« Après avoir échangé dans la nuit de samedi à dimanche avec John Textor, l’Olympique lyonnais informe avoir pris la décision de nommer, au poste d’entraîneur principal de l’équipe professionnelle, Laurent Blanc pour 2 saisons, soit jusqu’au 30 juin 2024. » Même si le communiqué mentionne une consultation du nouveau propriétaire du club, l’arrivée de Blanc est bien le dernier choix fort du président Aulas à la tête de l’OL. N’ayant pas souhaité mettre Juninho en porte à faux à l’époque, JMA avait fait le choix de se ranger derrière son directeur sportif au moment de désigner Rudi Garcia, plutôt que Blanc, pour remplacer Sylvinho en octobre 2019. Comme sa relation avec « Juni » s’est dégradée au point d’aboutir à un départ surprise du Brésilien en janvier 2022, le président était particulièrement heureux d’avoir enfin mis la main sur le « Président » : « C’est vrai que Laurent aurait dû venir il y a trois ans. Ça n’a pas pu se faire pour de diverses raisons, déclarait le président lyonnais sur Europe 1 en mars dernier. Il est là pour longtemps et c’est vrai que pour moi, c’est une sécurité fantastique de pouvoir compter sur quelqu’un qui ne se laisse pas parfois abattre. » Si ce choix permet de redresser la barre en termes de résultats, il ne ramène pas pour autant la paix sociale au Groupama Stadium. Les groupes supporters se montrent plus que lassés par le jeu proposé, mais aussi par le manque d’implication de certains joueurs. Sur des affiches « designées » à la manière des « Wanted » époque Far West et collées dans tout Lyon, les Kops décident de s’en prendre nommément aux joueurs qu’ils estiment responsables du déclin du club (Aouar, Toko-Ekambi, Reine-Adelaïde, Da Silva, Mendes, Dembélé). Les clubs de supporters s’en prennent également à Bruno Cheyrou et Vincent Ponsot, qu’ils n’estiment pas taillés pour les costumes de « responsable de la cellule de recrutement » et de « directeur du football » qu’ils portent respectivement. Une manière indirecte de s’en prendre à JMA : s’il n’est jamais cité directement par les supporters, les critiques appuyées autour de ses hommes de confiance sont une manière de ne pas l’épargner.

Patron sinon rien

5 avril 2023, stade de la Beaujoire. Malgré leur saison décevante, les Gones disposent encore d’une chance inespérée d’accéder à l’Europa League via la Coupe de France. Jusqu’à présent, John Textor avait laissé ce petit monde travailler en paix, l’Europe étant toujours à portée de pieds. Finalement, la piteuse élimination de son nouveau club lors de cette demi-finale à Nantes (0-1) va définitivement le convaincre de la nécessité de mettre un coup de pied dans la fourmilière. « John Textor veut tout revoir niveau recrutement. Bruno Cheyrou est clairement dans le collimateur. Et de nouveaux scouts devraient arriver. En tout cas, c’est ce qui murmure en coulisses et cela semble aller bien au-delà de la rumeur. » tweetait Thomas Lacondemine, journaliste et biographe de Juninho, fin mars 2023.

Composée de Bruno Cheyrou, quatre scouts et un analyste vidéo, la cellule de recrutement est jugée sous-dimensionnée et indigne d’un club comme Lyon. Le président américain de l’OL souhaite la moderniser en intégrant un directeur technique, une cellule sur la data et l’arrivée de scouts supplémentaires. Des rumeurs de réorganisation contre lesquelles Jean-Michel Aulas s’agace immédiatement dans l’Équipe : « Si on vient m’imposer des choses sur l’organisation sportive, il y a peu de chances que je l’accepte. » Un premier avertissement qui n’émoustille pas plus que cela John Textor. Sa vision « américaine et business » de la gestion d’une entreprise (si besoin, tout balayer pour repartir d’une feuille blanche) est en effet aux antipodes de la vision « européenne et française » du président historique de l’OL (c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures).

Mais plus que la cellule de recrutement, c’est surtout la volonté de Textor de réorganiser totalement OL Groupe qui va constituer une crispation fatale du point de vue du président Aulas. L’idée du dirigeant américain est de constituer deux pôles « multiclubs », avec d’un côté « Eagle football au masculin », sous la gouvernance de JMA, autour de l’OL, Crystal Palace, Botafogo, Molenbeek (ndlr : les autres clubs détenus par Eagle football) et de l’autre, un pôle féminin dirigé par Michele Kang, une femme d’affaires américaine, nouvelle entrante au conseil d’administration. D’après RMC, ces réunions sont d’autant plus éprouvantes pour Aulas qu’elles ne correspondent en rien à la stratégie qu’il veut mettre en place pour redorer le blason de son club de toujours. Sans savoir s’il s’agit de sa décision ou celle de Textor, les deux parties ont finalement convenu qu’elles ne pouvaient plus faire aventure commune. Par un communiqué froid et laconique, le club annonce donc ce lundi 8 mai 2023 que «Monsieur Jean-Michel Aulas n’est plus le Président-Directeur général d’OL Groupe. » Une histoire de 36 ans qui se termine en cours de saison, à quatre journées de la fin… Indiscutablement, Jean-Michel Aulas méritait une bien plus belle sortie.

La peur du vide

« Du président aux joueurs, vous coulez le club, tous coupables ! », « John Fantôme Textor, quand allez-vous agir ? »… Ces banderoles exposées face à Rennes (3-1) n’ont même pas un mois. Pour les supporters à qui un objectif de podium avait été annoncé en début de saison, l’embellie des résultats sous Blanc ne suffit pas à masquer le déclin continu de leur club. Pour beaucoup d’entre eux, les problèmes de l’OL sont structurels et passent forcément par du changement au niveau des têtes pensantes. « Les Kops peuvent avoir un avis sur les joueurs. C’est leur droit. Mais qu’ils attaquent des dirigeants qui sont exemplaires, c’est moi qu’ils attaquent. Je voudrais que tout le monde prenne conscience que le club va se redresser. J’en prends la responsabilité. Mais qu’on laisse tranquilles Vincent Ponsot et Bruno Cheyrou. Il faut créer une étincelle qui va changer l’état d’esprit. On a identifié le mal. On y travaille. On va faire bouger les choses », tentait maladroitement de se défendre JMA. Si l’effectif a effectivement été remodelé pendant le mercato hivernal, John Textor a décidé d’accélérer la révolution rhodanienne en mettant un terme brutal à l’ère Aulas. Un évènement qu’il faudra digérer sur plusieurs semaines avant de pouvoir en mesurer la réelle portée.

Quand il est désigné à 41 ans pour s’asseoir dans le fauteuil de président de l’Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas récupère un club criblé de dettes et qui végète alors en Division 2 depuis quatre ans. Très rapidement, il met en place le projet « OL Europe » avec l’ambition d’offrir à sa ville de cœur un club de football digne de son standing. « Il faudra changer de niveau pour faire de Lyon un grand club européen. Je pense à l’exemple de l’OM. Mais j’ai également regardé du côté de Barcelone et d’autres grands clubs. Il ne faut pas miser uniquement sur les recettes au guichet » laissait déjà entrevoir le jeune JMA dans les colonnes du Progrès, alors que son nom revenait avec insistance pour la succession de Charles Mighirian (président de 83 à 87). Trente-six années se sont écoulées depuis, et le moins que l’on puisse dire c’est que Jean-Michel Aulas a largement réussi son pari : Lyon est définitivement un club respectable et respecté dans la grande famille du football européen. Plus de cinquante trophées soulevés (équipes masculines et féminines confondues), la cotation du club en Bourse, un des meilleurs centres de formation en Europe, le développement du football féminin, la construction du nouveau stade dont l’OL est entièrement propriétaire… Gigantesques sont les chantiers menés à bien par le désormais ex-président pour développer l’Olympique lyonnais. Chaque supporter doit bien garder en tête l’éternelle reconnaissance qu’il doit à son nouveau « président d’honneur ». En ce lundi férié, nous devons absolument mesurer notre chance d’avoir eu l’honneur d’être présidé par M. Aulas, plus de trois décennies durant. Un président pour l’éternité.

 

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